Sélectionner une page

La complaisance dont font preuve les politiciens canadiens à l’endroit de l’État chinois lui facilite grandement la tâche.

La GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) avaient perçu une menace sérieuse il y a plus de 20 ans : l’intrusion chinoise dans la société canadienne. Intitulé Sidewinder, un rapport secret rédigé par les deux agences avait été mis au jour en avril 2000 par le journaliste Andrew Mitrovica du Globe & Mail. Sidewinder avait été jugé si controversé par les responsables du SCRS qu’il avait été expurgé et réécrit avant qu’une version édulcorée ne soit distribuée à d’autres organismes gouvernementaux. De quoi y était-il question? D’une sorte d’alliance conclue entre le gouvernement chinois, ses services de renseignement, des magnats de Hong Kong et les triades criminelles, dont les objectifs ultimes étaient décrits en quatre points :

  • Voler des secrets dans le domaine de la haute technologie;
  • Blanchir les fonds issus d’activités illégales;
  • Étendre l’influence de la diaspora chinoise auprès du cercle politique canadien;
  • Obtenir le contrôle d’entreprises canadiennes, principalement dans le secteur de l’immobilier et celui des médias.

CITIC Group et Power Corporation

À l’époque, déjà, la GRC et le SCRS estimaient que, depuis le début des années 80, plus de 200 entreprises canadiennes avaient été soit avalées par des conglomérats chinois soit infiltrées par des figures clés de l’Empire du Milieu. Et l’un des noms qui apparaissait en première ligne du rapport Sidewinder était celui de Li Ka-Shing, PDG de China International Trust and Investment Corporation, ou CITIC Group.

En Colombie-Britannique, Li Ka-Shing en menait large : il possédait, avec l’un de ses fils, au moins un sixième – et peut-être même jusqu’à un tiers – du centre-ville de Vancouver, selon la GRC et le SCRS, et il avait pendant un temps détenu 10 pour cent des actions de la banque CIBC, ce qui en faisait son plus important détenteur de titres. Il avait en parallèle noué un partenariat avec cette institution dans l’achat du terrain où s’était déroulée l’Expo 86 à Vancouver, qui valait la modique somme de 3 milliards de dollars.

Les dirigeants de la CIBC ignoraient peut-être que Li Ka-Shing était bien connu des services policiers. Selon Sidewinder, le milliardaire aurait conclu des accords avec les chefs de deux riches familles de Hong Kong, Robert Kwok et Henry Fok, soupçonnés de liens directs avec les triades. Kwok était impliqué dans le trafic d’héroïne avec la Birmanie, et le fils de Fok avait déjà tenté de faire entrer illégalement aux États-Unis une cargaison de Kalachnikovs fabriquées en Chine.

CITIC Group entretient depuis des décennies des relations d’affaires avec le holding canadien Power Corporation. Power était en partie propriétaire, jusqu’en 2015, de CITIC Pacific, une filiale du conglomérat, dont une autre filiale, CITIC Securities, a été citée dans les Panama Papers pour avoir investi dans des paradis fiscaux. On avait aussi soupçonné les dirigeants de la compagnie de délits d’initiés et d’avoir causé la fuite d’informations sensibles. En mai 2017, CITIC Securities a dû payer une amende de 45 millions en raison de ces activités.

Menaces et intimidation

C’était au printemps 2012. Mark Bourrie, un journaliste indépendant basé à Ottawa, était pigiste pour Xinhua News Agency lorsque Dacheng Zhang, chef du bureau d’Ottawa pour l’agence de presse chinoise, l’avait sollicité pour qu’il recueille des informations sur le dalaï-lama, en visite officielle au Canada. Mais Zhang ne s’intéressait pas vraiment au récit de Bourrie; tout ce qu’il voulait, c’est son carnet de notes, c’est-à-dire tout ce qui avait été abordé par le dalaï-lama. C’est à ce moment que Bourrie avait décidé de mettre fin à sa collaboration avec l’agence.

Tous les journalistes de par le monde connaissent bien Xinhua, qui collecte des informations détaillées sur les « dissidents » du Tibet et du Falun Gong pour le compte du gouvernement chinois. Mais pas seulement : un de ses journalistes a été appréhendé au moment où il prenait des photographies d’installations militaires au Canada.

Ceux que Pékin qualifie de « dissidents » sont constamment victimes de menaces et d’intimidation de la part du régime, même s’ils résident en terre canadienne. Lingdi Zhang (aucun lien de parenté avec Dacheng Zhang), pour une, avait été désagréablement surprise, le 26 septembre 2005, de recevoir un courriel de menaces provenant d’un responsable d’un club universitaire auquel elle appartenait. Le seul « défaut » de Madame Zhang était de pratiquer le Falun Gong, un mouvement prohibé en Chine. Le destinateur du courriel, un certain Chris Xu, l’avait avertie de « surveiller ses arrières ». À l’époque, Lingdi Zhang étudiait en informatique à l’Université d’Ottawa; Chris Xu, lui, était vice-président de l’Association des étudiants chinois de la même université, dirigée à partir du bureau responsable du secteur de l’éducation à l’ambassade de la Chine à Ottawa.

En avril 2006, un autre courriel, celui-là envoyé par un certain Li Qin, qui prétendait être un agent spécial du bureau chinois de la sécurité publique, avait averti des membres de l’Association des étudiants chinois de l’Université de Calgary de ne pas assister à une semaine de cinéma organisée par le club Friends of Falun Gong de l’université. « Ne participez pas à cette activité », avait écrit Qin, « sinon votre nom et votre photo seront soumis au gouvernement central ».

Mais Pékin ne s’attaque pas qu’au Falun Gong. Il s’en prend aussi à tous ceux qui en ont contre les politiques du régime. Dans un document obtenu par le journal The Epoch Times, on apprend que l’ambassade chinoise à Ottawa s’était opposée à la demande d’obtention d’une licence de radiodiffusion déposée par New Tang Dynasty Television (NTDTV), qui avait la réputation de signaler les violations des droits de l’homme du régime chinois.

C’est le chef de la section culturelle de l’ambassade, Chen Pengshan, qui avait rédigé un document de protestation signé par l’ambassadeur de l’époque, Lu Sumin, document qui avait été distribué à la diaspora chinoise, dont le gouvernement voulait se servir pour qu’elle fasse pression sur le CRTC afin qu’il rejette la demande de NTDTV. Le président de cette station, Joe Wang, avait même reçu des lettres menaçantes après la diffusion d’une émission consacrée aux violations des droits de l’homme en Chine. L’une des enveloppes contenait de l’acide borique.

Espionnage à double tour

Les cas d’espionnage impliquant le régime de Pékin sont légion, mais c’est l’une de ses branches, le cyberespionnage, qui inquiète le plus les autorités ces temps-ci.

En janvier 2012, par exemple, CBC News avait signalé que des pirates informatiques travaillant pour le compte de Pékin avaient eu accès à des informations hautement confidentielles du ministère des Finances, du Conseil du Trésor et de l’agence Recherche et Développement pour la Défense du Canada. Dans une entrevue à l’émission As It Happens de CBC en février 2012, Brian Shields, l’ex-conseiller principal en systèmes de sécurité chez Nortel, avait déclaré que l’espionnage informatique était constant de 2000 à 2009 au sein de l’entreprise canadienne et qu’il avait même été l’un des facteurs déterminants dans sa faillite.

Un rapport publié en 2013 par la firme américaine Mandiant mentionnait que l’une des unités de cyberespionnage de la Chine avait piraté les systèmes informatiques d’au moins sept organisations ayant des activités au Canada. Il rapportait également que des pirates chinois avaient eu accès aux ordinateurs des cabinets d’avocats impliqués dans l’offre publique d’achat de Potash Corporation, de la Saskatchewan.

Même aux États-Unis des Canadiens d’origine chinoise s’adonnent à l’espionnage industriel. L’un de ceux-là, Su Bin, de Vancouver, a été accusé d’être le cerveau d’un réseau d’espionnage de vols de secrets sur la fabrication d’avions de combat commercialisés par des entreprises liées au Pentagone. Selon les responsables américains, le réseau à la tête duquel se trouvait Su Bin avait volé des secrets des ordinateurs de certaines firmes, telles que Boeing, au bénéfice d’entreprises chinoises du domaine de l’aéronautique. Les pirates informatiques avaient entre autres tenté d’obtenir des secrets concernant les jets de transport C-17 GlobeMaster, les avions de chasse F-22 Raptor et les avions de combat F-35. Su Bin a obtenu une peine de 4 ans de prison et une amende de 10 000 dollars.

Un autre, Ishiang Shih, ex-professeur de l’Université McGill, à Montréal, a été accusé d’avoir participé à l’exportation illégale vers la Chine de micropuces à usage militaire. Selon le journal La Presse, Shih « était  directeur technique de CGTC, une entreprise chinoise qui exploite une usine à Chengdu, en Chine », dans le domaine de la haute technologie. CGTC a été en mesure de mettre la main sur la technologie d’un fabricant américain, dont le nom n’a pas été divulgué. Le complot aurait duré six ans.


Sources

Center for Security, David Kilgour, Immigration Watch Canada, La Presse #1 et #2, #3, Le Courrier international, Le Journal de Montréal, Prime Time Crime, Reuters, The Globe and Mail #1 et #2, Wikipedia, WND, Yahoo News


Vous aimerez aussi :

Un meurtre, des « militaires » et une secte chinoise au Canada

Les hommes de main du despote turc : une traque mondiale

 

Pour faire un don