Les oligarques sont devenus riches en Russie, mais ils ont dissimulé leurs avoirs grâce à des institutions occidentales.
Ceux que l’on appelle les oligarques russes connaissent des moments sombres depuis le début de la guerre en Ukraine. Partout, au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, les sanctions pleuvent contre ceux qui n’auraient pu devenir riches sans l’aide de l’État russe, entre autres de Vladimir Poutine. Or, ce que l’on omet trop souvent dans ce dossier, c’est que ces fameux oligarques ont vu leurs actifs grimper en flèche ces dernières années grâce à l’aide d’institutions occidentales qui leur ont déroulé tout grand le tapis rouge.
Londres, le sanctuaire des oligarques
Londres a joué un rôle particulièrement important dans le pillage de l’ancien bloc soviétique. Depuis le début du règne de Vladimir Poutine, la capitale britannique est devenue le centre de prédilection de l’élite russe. Justement, c’est dans cette métropole qu’ont été fondées Christie’s et Sotheby’s, les deux sociétés de vente aux enchères les plus célèbres au monde. Deux sociétés qui ont permis à deux frères oligarques, Arkady et Boris Rotenberg, de se soustraire à l’impôt et de se faufiler au travers des sanctions que le gouvernement américain leur avait imposées dès 2014. Tout s’est fait par l’entremise d’objets d’art et, évidemment, de sociétés-écrans, le stratagème habituel.
C’est aussi à Londres que le cabinet d’avocats Tulloch & Co. a pignon sur rue. Un cabinet qui compte parmi ses clients Elton John, le prince Harry et sa femme, Meghan Markle. Mais pas seulement : les Pandora Papers, ces documents qui ont levé le voile, en octobre 2021, sur les fonds dissimulés par les élites dans des paradis fiscaux, ont révélé que Tulloch & Co. avait structuré des réseaux de paravents pour l’ancien vice-ministre russe des Finances Andrey Vavilov, pour l’oligarque Alexander Mamut ainsi que pour Vitaly Zhogin, un banquier recherché en Russie pour fraude. Tulloch s’était arrangée pour que les actifs de ses clients soient transférés à des sociétés-écrans enregistrées dans les îles Vierges britanniques, à Chypre et aux Bahamas.
Les banques suisses aux premières loges
Aucune surprise ici : les banques suisses, avec leur système opaque, ont grandement contribué à protéger les actifs des oligarques. Aux dernières nouvelles, ces banques détiendraient jusqu’à 213 milliards de dollars déposés par les Russes dans des comptes offshore, selon l’Association suisse des banquiers (ASB). Au Crédit Suisse, on parle de 4 % des actifs, soit environ 33 milliards de francs suisses, qui appartiendraient à des Russes.
C’est aussi le Crédit Suisse qui, a-t-on appris récemment, avait demandé à ses investisseurs et partenaires commerciaux de détruire tout document ayant trait aux prêts offerts aux oligarques pour l’achat de yachts et de jets privés.
On sait aussi que des milliards de livres sterling appartenant à l’oligarque Alisher Usmanov et à son empire commercial avaient été déposées dans des comptes secrets de cette institution. Usmanov fait l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne (UE). Sa sœur, Saodat Narzieva, à elle seule détiendrait ou aurait détenu au moins 27 comptes au Crédit suisse, dont l’un d’eux affichait un solde de 1,9 milliard de francs suisses.
Le Crédit suisse apparaît dans au moins une autre affaire, cette fois impliquant Suleyman Kerimov. Celui-ci avait acquis quatre villas prestigieuses dans le cap d’Antibes, sur la Côte d’Azur, en France, via des sociétés-écrans. L’une de ces propriétés valait 127 millions d’euros, mais Kerimov l’aurait payée seulement 35 millions, le reste ayant été versé « sur des comptes des vendeurs » pour rémunérer « des intermédiaires sous forme de dessous-de-table », d’après France culture. Or, les banques qui ont facilité ces achats étaient le Crédit Suisse, Barclays et la Société Générale Private Banking, à Monaco.
Des sociétés américaines ont exploité le filon
Il n’y a pas qu’à Londres et en Suisse que les oligarques ont obtenu de l’aide pour dissimuler leurs avoirs. Des institutions américaines ont aussi voulu leur part du gâteau en cette matière. Parmi celles-ci : Baker McKenzie et Concord Management.
Baker McKenzie, un cabinet d’avocats d’affaires international de Chicago, a aidé des oligarques à échapper à l’impôt en employant des sociétés-écrans, des fiducies et des structures complexes implantées dans des paradis fiscaux. Rostec, un fabricant d’armes, fait partie d’une demi-douzaine d’entreprises russes contrôlées par l’État qui ont attribué des contrats à Baker McKenzie alors qu’elles faisaient face à des sanctions internationales. Dans les faits, Baker McKenzie aurait joué un rôle dans plus de 440 sociétés offshore enregistrées dans des paradis fiscaux, selon les Pandora Papers. Nike, RJR Nabisco et Apple comptent aussi parmi ses clients.
Concord Management, une société de conseils financiers située à New York, a quant à elle permis à Roman Abramovich, un proche allié du président russe Vladimir Poutine et dont la fortune est estimée à 13 milliards, d’investir secrètement dans de grands fonds spéculatifs américains et des sociétés de capital-investissement, ici encore par l’entremise de sociétés-écrans.
En 2015 et 2016, les enquêteurs de State Street, une société de services financiers, avaient déposé des « rapports d’activités suspectes » afin d’alerter le gouvernement américain sur les transactions que Concord Management avait réalisées pour le compte d’Abramovich.
Toutes ces entreprises ont ainsi permis aux proches de Poutine de fructifier leurs avoirs en terre occidentale. Or, aucune n’a jusqu’à présent fait l’objet de sanctions.
Sources
Business Standard, France Culture, ICIJ #1, #2, #3, Sénat des États-Unis, The Guardian, The New York Post, The New York Times #1, #2