Des investisseurs aimeraient bien savoir où se terre Ruja Ignatova, qui a dirigé une arnaque de plusieurs milliards.
Ruja Ignatova, OneCoin : voilà deux noms qui signifient très peu au commun des mortels, à moins qu’il ne soit un adepte des cryptomonnaies. Deux noms qui ont été au centre d’une arnaque de grande envergure s’élevant à au moins 4 milliards de dollars, et même à plus de 15 milliards selon certaines sources.
L’escroquerie a été mise au jour en 2019, mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Voici les grandes lignes d’un dossier qui demeure actif non seulement sur le plan judiciaire, mais même au regard des affaires.
La gourou de la cryptomonnaie
Ils étaient 5 000 le 11 juin 2016 au Wembley Arena, à Londres, pour acclamer Ruja Ignatova, dirigeante de l’entreprise de l’heure à l’époque : OneCoin. La dame était d’une élégance raffinée avec sa somptueuse robe de bal et ses longues boucles d’oreilles en diamant. OneCoin, déclarait Ignatova au public de Wembley, allait devenir la « Bitcoin Killer ». « Dans deux ans, plus personne ne parlera de Bitcoin! », a-t-elle lancé à la foule. Une foule qui, baignant un peu trop profondément dans l’euphorie, ignorait qu’un an auparavant, des informations circulaient déjà sur une possible arnaque.
L’engouement pour OneCoin chez les Londoniens n’avait rien d’artificiel. Des documents divulgués par la BBC montrent que les Britanniques à eux seuls ont dépensé près de 30 millions d’euros dans cette cryptomonnaie au cours des six premiers mois de 2016, dont 2 millions en une seule semaine.
OneCoin a été fondée en Bulgarie en 2014 par Ruja Ignatova et un autre escroc notoire : Sebastian Greenwood. Deux personnages turbulents qui, avec de précieux hommes et femmes de confiance, ont créé une agence pyramidale qui consistait à investir dans l’« avenir » de la cryptomonnaie » tout en recrutant d’autres investisseurs.
Il faut dire que les deux fondateurs avaient du métier. Ignatova et son père avaient autrefois dirigé une entreprise de métallurgie à Waltenhofen, en Allemagne, qu’ils ont acculée à la faillite. Selon le syndicat des employés de l’entreprise, Ignatova leur aurait escroqué six millions d’euros. Poursuivie pour détournement de fonds, la dame s’en est sortie avec une simple promesse de rembourser certaines parties lésées, raconte StreetPress, qui nous révèle par ailleurs que la femme d’affaires a été accusée d’avoir arnaqué ses fournisseurs à hauteur de 120 000 euros.
Sebastian Greenwood, lui, a une feuille de route similaire : il a entre autres été impliqué dans un système pyramidal – un autre – appelé Unaico. Bref, des curriculums bien nantis.
Une mine d’or qui sent le soufre
Trois mois seulement après la fameuse convention du 11 juin au Wembley Arena de Londres, la Financial Conduct Authority (FCA) du Royaume-Uni, chargée de réglementer les marchés financiers, publiait un avertissement sur son site Web. « Nous pensons que les consommateurs devraient se méfier de l’utilisation de OneCoin », déclarait-on. « Nous sommes préoccupés par le risque potentiel que [la compagnie] représente pour les consommateurs britanniques ».
Surprise de taille : moins d’un an plus tard, l’avertissement était supprimé du site Web de la FCA. Les promoteurs de OneCoin ont alors interprété cette volte-face comme un laissez-passer des autorités britanniques, qui, supposait-on, jugeaient désormais l’entreprise légitime. En 2019, OneCoin était toujours active au Royaume-Uni.
La FCA accusait pourtant du retard. Le 27 mai 2015, le site de cryptomonnaie Cointelegraph consacrait un article à l’entreprise bulgare. Le ton était donné : OneCoin, était-il écrit, « est soupçonné d’être un système pyramidal ». Justement, c’est en 2015 que les choses ont commencé à mal aller pour l’entreprise qui voyait déjà certaines institutions fermer ses comptes bancaires.
Pourquoi ces soupçons? La réponse est venue de la bouche d’un expert qui a lui-même failli basculer dans l’arnaque. Début octobre 2016, Bjorn Bjercke avait été sollicité par un agent de recrutement qui avait piqué sa curiosité. Une start-up bulgare de cryptomonnaie, lui avait-il dit, recherchait un directeur technique. Bjercke obtiendrait un appartement, une voiture et un salaire annuel d’environ 250 000 livres. Mais notre homme a refusé d’embarquer dans le projet.
Car Bjorn Bjercke est un spécialiste des blockchains. Blockchains? Il s’agit d’une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. Sans blockchain, point de cryptomonnaie. Or, notre expert savait que OneCoin n’en possédait pas. Les chiffres que l’on exhibait sur l’Intranet du site Web de l’entreprise n’avaient, dans les faits, aucun sens. Ils étaient manipulés par des employés qui faisaient ce qu’on leur ordonnait de faire, tout simplement.
L’étau se resserre
Répétons-le : OneCoin a été fondée en 2014 et a suscité la méfiance de spécialistes dès mai 2015. Mais ce n’était là que le début d’un mouvement qui allait déboucher sur la disparition de sa cofondatrice. En 2016, l’entreprise d’Ignatova fut l’objet d’une enquête des autorités financières de l’Allemagne. Malgré tout, les activités se sont poursuivies à vitesse maximale.
Parce que si, en Europe, les entrées de fonds se tarissaient à la fin de 2017, en Afrique, au Moyen-Orient et dans le sous-continent indien, là où les populations avaient peu entendu parler des dérives de l’entreprise, on faisait la file pour profiter de ce « filon ».
Pendant ce temps, Ruja Ignatova claquait sa fortune, achetant des propriétés de plusieurs millions de dollars dans la capitale bulgare, Sofia, et dans la station balnéaire de Sozopol, sur la mer Noire. Durant ses temps libres, elle organisait des fêtes sur son luxueux yacht, le Davina, où s’est d’ailleurs produite la pop star américaine Bebe Rexha en juillet 2017.
Mais tout a fini par débouler. Le cofondateur de OneCoin, Sebastian Greenwood, a été arrêté en Thaïlande en 2018 et extradé vers les États-Unis. En Chine, les autorités sont passées à l’offensive et des enquêtes ont aussi été ouvertes en Australie, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Italie et ailleurs. Les 17 et 18 janvier 2018, les polices judiciaires bulgare et allemande, assistées d’Europol, ont perquisitionné les bureaux et les serveurs de OneCoin à Sofia.
Mais où est donc passée la Cryptoqueen?
À la fin de l’été 2017, des investisseurs s’inquiétaient déjà de l’État d’esprit qui régnait autour de OneCoin. Plusieurs, avec une impatience soutenue, espéraient des réponses à leurs préoccupations lors d’un grand rassemblement de promoteurs européens à Lisbonne, au Portugal, en octobre 2017. Or, le jour venu, Ignatova, réputée pour sa ponctualité, ne s’est jamais présentée.
Les dossiers du FBI montrent que le 25 octobre 2017, l’ex-présidente de OneCoin a pris un vol de Ryanair reliant Sofia à Athènes. C’est à ce moment qu’elle est disparue des radars. Curieusement, sa page Facebook a affiché une activité le 7 août 2019, où une photo datant d’octobre 2015 est apparue en couverture. Les précédents messages dataient du 2 janvier 2017. La dame a-t-elle changé sa photo elle-même? Ou était-ce une personne qui connaissait ses codes d’identification?
Quoi qu’il en soit, depuis ce jour d’octobre 2017, l’arnaqueuse se fait assez discrète. Igor Alberts, un ex-investisseur qui a perdu une fortune dans la débâcle, a déclaré que des rumeurs voulaient qu’Ignatova, munie de passeports russe et ukrainien, fasse des allers-retours entre la Russie et Dubaï.
On a aussi suggéré que la femme d’affaires avait eu recours à une chirurgie plastique et qu’elle se cachait quelque part, peut-être en Bulgarie. Des enquêteurs privés ont prétendu qu’elle aurait été vue régulièrement dans un restaurant d’Athènes jusqu’au premier trimestre de 2019. Certains ont dit aux journalistes de la BBC qu’elle se trouvait à Bucarest, d’autres à Francfort. Entre les branches s’est glissée une autre rumeur, celle-là plus inquiétante : des personnes puissantes, pas très heureuses d’avoir perdu leur chemise, l’auraient assassinée.
Business as Usual
Évidemment qu’une telle fabrique attire son lot d’abonnés au monde interlope. Le frère de Ruja Ignatova, Konstantin Ignatov, se serait lui-même associé à « des acteurs importants du crime organisé de l’Europe de l’Est ». Justement, après la disparition de sa soeur, c’est lui, Konstantin, qui a repris la direction de OneCoin. Et sans le savoir, il ne disposait que d’un an et demi de sursis.
Car le 6 mars 2019, il fut arrêté à l’aéroport de Los Angeles alors qu’il s’apprêtait à monter à bord de son avion pour un vol de retour vers la Bulgarie. À peu près au même moment, les autorités américaines inculpaient sa soeur par contumace pour fraude et blanchiment d’argent.
Mais même après ces procédures judiciaires, OneCoin est restée active, ses coffres accueillant des fonds provenant d’investisseurs, disons-le, plutôt naïfs. Comment est-ce possible? Simple : les destinées de OneCoin sont désormais entre les mains d’une certaine Veska Ignatova, la mère de Konstantin et de Ruja.
C’est la signature de Veska, d’ailleurs, qui apparaissait le plus souvent sur les documents officiels, lesquels montraient clairement que l’on avait affaire à une structure complexe impliquant moult entreprises ayant pignon sur rue dans des paradis fiscaux. OneCoin, donc, ne représentait que la façade d’un imposant édifice.
Veska Ignatova s’est manifestée pour la première fois en public à l’été 2020 lors d’un événement promotionnel de son entreprise. Et à l’instar de sa fille quelques années plus tôt, elle a enchaîné les promesses devant un auditoire prêt à la croire sur parole.
Sources
BBC, Behind MLM, Bitcoin.com #1, #2, Blockchain France, Business for Home, Cointelegraph #1, #2, #3, #4, #5, Facebook, Sreet Press #1, #2, #3, The Kasaan Times
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