La société de conseils aux mille controverses est malheureusement l’une des favorites de nos gouvernements. Dossier exclusif.
Nous étions en janvier 2012. Ce qui allait devenir la Coalition Avenir Québec (CAQ) était en pleine organisation. Sur l’échiquier politique, on savait que le parti cofondé par François Legault risquait de chambouler le paysage. C’est pourquoi des hommes d’affaires proches du Parti libéral du Québec multipliaient les appels pour décourager certains candidats-vedettes de rejoindre les rangs de la nouvelle formation. L’un de ces candidats-vedettes était très peu connu des Québécois à l’époque. Son nom : Dominique Anglade.
Mme Anglade occupait un très bon emploi au sein d’un cabinet de consultants qui jalonne la route du cercle politique tant en Europe qu’en Amérique du Nord : McKinsey & Company. Or, depuis la prise du pouvoir de la CAQ en 2018, McKinsey est devenue l’une des firmes de conseils les plus en vue à Québec. Les prochaines lignes présentent un récit aux multiples dimensions.
McKinsey s’invite dans la campagne présidentielle en France
Tout allait bien pour le président français Emmanuel Macron dans sa campagne présidentielle. Aucune embûche majeure ne s’était dressée sur son chemin et les sondages prédisaient sa réélection, jusqu’à ce que McKinsey, que son gouvernement a embauché à coups de millions d’euros pendant la pandémie, vienne gâcher la fête.
C’est un rapport du Sénat qui a tout saccagé. Un rapport qui « dénonce un “phénomène tentaculaire”, au coût croissant pour les finances publiques, et accuse les filiales françaises de McKinsey d’optimisation fiscale, de telle sorte qu’elles n’auraient versé aucun impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020 », rapporte L’Express.
Depuis lors, McKinsey fait la une au quotidien en France et jette une ombre massive sur l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron.
Une firme populaire auprès de la CAQ
Mais il n’y a pas qu’en France que McKinsey frappe fort. On pourrait dire sans se tromper que la société de conseils tourbillonne dans l’air du Québec depuis que la CAQ est au pouvoir. Selon le magazine en ligne Pivot, pour la durée de la pandémie, ce sont 6 millions qui pourraient à terme être versés à la firme. Québec avait en effet besoin de celle-ci pour se faire conseiller sur le premier déconfinement en avril 2020. Le coût : 1,72 million. La CAQ a aussi sollicité ses conseils pour « stimuler la croissance économique dans le contexte de la sortie de la pandémie ». Résultat : 1,75 million s’est ajouté à la facture. D’autres contrats pourraient suivre sous peu, si ce n’est déjà fait.
En 2020, McKinsey n’était toutefois pas une nouvelle venue dans le décor québécois. Quelques mois auparavant, soit en septembre 2019, Québec annonçait une injection de 100 millions dans Element AI, un développeur de solutions logicielles d’intelligence artificielle (IA); 75 millions étaient puisés à même la Caisse de dépôt et placement du Québec. McKinsey, qui venait tout juste d’ouvrir un bureau à Montréal pour sa filiale QuantunBlack, avait fourni 15 millions.
Pas de chance pour les contribuables québécois, Element AI a été vendue pour 500 millions de dollars américains à ServiceNow, de la Californie, en décembre 2020. Adieu les 100 millions de Québec.
En août cette année-là, le ministre l’Économie et de l’Innovation Pierre Fitzgibbon annonçait vouloir développer une filière du lithium au Québec qui devrait nécessiter environ 7 milliards d’investissements. « On a engagé McKinsey pour nous aider, on a un plan très, très clair », avait déclaré Fitzgibbon. « Ça va coûter 7 milliards ». Valeur du contrat avec McKinsey? Silence de Québec. Et ses impôts alors? Aucune idée…
Un historique troublant
Les dirigeants de la société de conseils peuvent s’estimer heureux de jouir encore aujourd’hui de la confiance (aveugle) des gouvernements. Car si le passé est garant de l’avenir, on serait alors en droit de s’attendre à ce que les livres soient fermés à tout jamais pour cette entreprise. Pour énumérer les controverses qui la suivent, on pourrait retourner loin en arrière, mais on va se contenter du début des années 2000, au moment où un géant de l’énergie s’écroulait : Enron.
Le directeur de l’exploitation d’Enron était Jeffrey Skilling, un ancien de McKinsey. Sous la direction de Skilling, Enron remettait 10 millions de dollars par année à McKinsey pour des conseils. La firme avait pleinement approuvé les méthodes comptables qui ont provoqué l’implosion de l’entreprise américaine du secteur de l’énergie en 2001.
En 2002, la Banque du Canada a été prise en défaut pour avoir accordé des contrats sans appel d’offres et sans signature, dont deux avaient été octroyés à McKinsey pour 1,5 million de dollars. Puis en 2006, McKinsey aurait recommandé à l’entreprise Boeing de corrompre des fonctionnaires indiens afin d’exploiter une mine de titane, selon Olivier Kaestlé.
En 2012, l’un des anciens dirigeants de la firme, Rajat Gupta, a été condamné aux États-Unis pour délit d’initié. Gupta, qui a dirigé McKinsey pendant dix ans, a transmis des informations confidentielles sur des entreprises à un ami milliardaire. L’homme avait certes quitté la société de conseils lorsqu’il a commis ses méfaits, mais un associé de cette dernière l’avait côtoyé dans le stratagème.
En 2016, selon Olivier Kaestlé, McKinsey a été impliquée cette fois « dans le scandale et l’effondrement en bourse de Valeant Pharmaceuticals ». Deux ans plus tard, on la vue dans un autre scandale, mélangeant corruption et blanchiment d’argent pour le compte de la famille Gupta en Afrique du Sud.
Toujours en 2018, la société, alors dirigée par le Canadien Dominic Barton, aurait organisé une retraite dans la région occidentale du Xinjiang, en Chine, à seulement six kilomètres de l’emplacement d’un camp d’internement où des membres de la minorité ethnique ouïghoure sont soumis à un endoctrinement politique forcé.
Enfin, la firme a dû verser 573 millions de dollars en 2021 pour régler une affaire qui s’est diffusée dans 49 États américains. C’est qu’elle a été accusée d’avoir contribué à l’épidémie mortelle de dépendance à l’endroit des opioïdes en conseillant la pharmaceutique Purdue, productrice du tristement célèbre OxyContin, à l’origine d’une explosion des overdoses aux États-Unis et au Canada.
Sources
Element AI, L’Actualité, La Presse, Le Devoir, L’Express, Olivier Kaestlé, Pivot, Quantum Black, The Globe and Mail, #1, #2, The Independent, TVA Nouvelles