La consommation de drogues et d’alcool est interdite aux Saoudiens, mais plusieurs n’ont que faire de ces préceptes moraux.
Pour un Occidental, l’Arabie saoudite est un pays lointain dirigé par un régime obscurantiste qui incarne l’islam dans la plus pure tradition puritaine. Pourtant, la réalité est plus complexe. Si la police religieuse exerce le plein contrôle sur les mœurs, elle ne peut endiguer la montée d’un phénomène aussi naturel qu’inéluctable : le goût pour les plaisirs.
Un party d’Halloween
Il est défendu de fêter Halloween dans le royaume, comme la plupart des congés observés en Occident, à cause de leur nature « non islamique ». Chaque année en octobre, la police religieuse scrute les centres commerciaux à la recherche de points de vente de costumes. Mais cette interdiction ne s’étend pas à la famille royale. Selon des câbles diplomatiques américains diffusés sur le site Wikileaks, un party d’Halloween s’est déroulé à Djeddah sous la protection de princes saoudiens, en 2009. C’est le prince Fayçal al-Thunayan qui avait organisé cette fête clandestine dans sa propre résidence, où il avait invité plus de 150 jeunes saoudiens, hommes et femmes, ainsi que quelques Occidentaux.
La police religieuse avait été tenue à distance par des khawi, ces gardes du corps nigérians qui grandissent avec leurs princes et leur servent à vie. En dépit des interdictions qui frappent la vente d’alcool, des barmen philippins avaient servi un cocktail à base de sadiqi, un alcool de contrebande local. On avait même pensé à une société américaine de boissons énergisantes, Kizz-me, pour commanditer l’événement. Des fonctionnaires du consulat américain y étaient présents, certains ayant entendu par le bouche-à-oreille que de nombreuses invitées n’étaient autres que des prostituées. De la coke et du haschisch se seraient même glissés furtivement dans la fête.
On dit que de nombreuses résidences royales ont leurs bars et discothèques pour répondre à un appétit grandissant des Saoudiens pour le divertissement.
La princesse débauchée
À l’extérieur du royaume, les dérapages sont courants. On en a eu un bel exemple avec un couple princier au sein duquel la dame n’avait aucun scrupule à rabaisser la morale à son plus bas niveau.
L’histoire rocambolesque de ce couple commence en 1973, quand le prince Turki bin Abdul Aziz épouse pour le meilleur et pour le pire la belle Hind al-Fassi. Pendant neuf ans, le couple mène un train de vie fastueux en parcourant le monde avec la mère, la sœur et les frères de la jeune femme. Puis à la demande d’Alvin Malnik, un avocat et homme d’affaires qui entretient des liens avec la mafia, la « brigade » s’installe dans un condominium de North Miami, le Cricket Club, surplombant la baie de Biscayne.
Cet Alvin Malnik est un personnage plutôt truculent. Propriétaire du Cricket Club, il charme le couple princier avec son image de multimillionnaire fringant et aventureux. Peut-être l’engouement des deux tourtereaux vient-il du fait que leur nouveau compagnon est plus riche qu’eux. Toujours est-il que ce dernier réussit progressivement à prendre le contrôle des finances du prince Turki. Et c’est ici que les choses se corsent.
Mohammed al-Fassi, l’un des frères de Hind, devient jaloux du pouvoir qu’exerce Malnik au sein de la famille. Il décide donc de s’éloigner du cercle familial et part en Turquie pour adopter un jeune garçon, non sans mettre à la porte sa petite amie italienne pour épouser une autre femme. Tarek, l’autre frère de Hind, kidnappe une jeune Saoudienne dans une discothèque londonienne et offre de l’argent à son mari pour qu’il divorce. Un des fils de Malnik, Mark, tombe amoureux quant à lui de la sœur de Hind. Bref, un beau mélange d’intrigues dignes d’un roman-savon. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Car avec le temps, des articles de journaux font allusion à de mauvais traitements infligés aux domestiques du couple royal. Certains d’entre eux sont forcés de travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et à des salaires de crève-faim, sans presque pouvoir quitter la maison, puisque tout contact avec l’extérieur leur est pratiquement interdit. Finalement, un mandat d’arrêt est lancé à l’encontre des Al-Fassi/Abdul Aziz et une douzaine de policiers sont dépêchés au condo de Miami pour appréhender un peu tout le monde. Poursuites et contre-poursuites plus tard, on ordonnera aux Saoudiens de quitter les États-Unis.
La famille reçoit l’ordre de retourner dans le royaume, mais le prince, accompagné de son entourage, décide plutôt de s’installer au Caire, en Égypte. Là-bas, le clan occupe les trois derniers étages de l’hôtel Ramsès Hilton. Autre pays, autres démêlés avec la justice, que la presse égyptienne suit avec intérêt au cours des années 90.
Les cas abondent : domestiques victimes de coups, gardes du corps voyous, partouzes jusqu’au petit matin, les récits garnissent les pages des médias de la capitale. La situation est tellement catastrophique que deux serveurs égyptiens se tuent en essayant de s’échapper, à l’aide de draps noués, à partir de l’une des façades du bâtiment. Hind, dont le compte bancaire s’épuise de jour en jour, refusera de payer à un bijoutier local les milliers de dollars qu’elle lui doit. Mais si elle est à court d’argent, peut-être est-ce dû aux escortes masculines qu’elle fait venir dans sa suite pour se divertir, pendant que le prince Turki dort de façon continue, lui qui est bourré de médicaments prescrits par sa femme dominante.
L’ambassade canadienne espionne la princesse Hind
Gary Ogaick, premier secrétaire de l’ambassade canadienne à Riyad, en Arabie saoudite, s’intéresse de près aux aventures du couple royal. C’est pourquoi il décide de mener une opération d’espionnage non autorisée pour recueillir des renseignements personnels sur Turki bin Abdul Aziz et Hind al-Fassi. À l’insu de ses supérieurs, Ogaick offre d’importantes sommes d’argent aux gardes du corps du couple pour obtenir des informations privilégiées sur sa vie décadente. Dans quel but? Ici, c’est le néant. Que peut-il bien faire de ces informations, lui, un Canadien dont le pays n’a rien à cirer des intrigues de palais?
Peu importe, Ogaick couvrira les dépenses des gardes du corps pour l’achat de matériel vidéo. Car il faut filmer le tout, à l’insu de madame. Mike Antinick, un des gardes embauchés par le couple royal, remettra à Ogaick des photocopies de registres détaillant les visites nocturnes d’escortes masculines dans la suite de la princesse Hind au Ramsès Hilton. C’est d’ailleurs Antinick qui, le plus souvent, doit acheter les cadeaux que veut offrir la princesse à ses escortes.
La vie est belle pour ces escortes qui ne demandent pas mieux que de divertir cette Saoudienne. Il en est tout autrement, par contre, des domestiques, confinés à l’hôtel pendant des semaines sans avoir le droit d’en sortir. Les rares déplacements à l’extérieur ne sont autorisés que lorsqu’ils sont accompagnés de gardes du corps. Même les appels téléphoniques leur sont interdits. La princesse, elle, n’a de cesse de faire surveiller son mari 24 heures sur 24. Neuf caméras vidéo et plusieurs microphones sont cachés dans la suite du prince. Hind dispose en outre d’un ensemble de moniteurs dans sa propre suite pour observer son mari.
Après une série de scandales, des politiciens de l’opposition égyptienne appellent à l’expulsion de la famille du pays, ce qui s’ajoute à une condamnation qui frappe la princesse Hind pour avoir omis de payer une facture de 2,5 millions de dollars pour des bijoux. Malgré tout, elle n’en subira jamais les conséquences.
À Londres, on s’amuse; à Riyad, on se tient droit
Longtemps après minuit, la fête bat son plein, la musique est forte, le whisky et le champagne coulent à flots. Dans un penthouse d’un hôtel londonien, six jeunes femmes britanniques séduisantes, vêtues de robes moulantes qui laissent peu de place à l’imagination, flirtent et s’amusent avec des princes saoudiens. Un plateau d’argent contenant de la poudre blanche passe d’une main à l’autre. De temps en temps, un couple sort de la suite pour réapparaître une demi-heure plus tard. D’autres ne se sentent pas obligés de s’éloigner pour partager des moments intimes; ils s’installent sur un canapé ou dans le lit à baldaquin sis dans la chambre principale. Cette anecdote nous est rapportée par le Telegraph.
Un homme d’affaires britannique, un verre à la main, se tient debout près de la fenêtre donnant sur Hyde Park. C’est sa première fête avec les Saoudiens, et elle lui ouvrira les yeux, dira-t-il, sur leur vie de débauche. Quelques heures plus tôt, lui et quelques princes étaient allés au casino, là où ces derniers ont craché leur fric comme s’il n’y avait pas de lendemain. Car à l’extérieur du royaume, on aime dilapider des fortunes. L’une des femmes embauchées comme prostituée dira à l’homme d’affaires que ce type de soirée lui rapporte beaucoup. Elle avance un chiffre : 2 000 livres pour passer la nuit avec un prince.
De retour à Djeddah ou à Riyad, tout ce beau monde revient à la normale. Tous se tiendront droits jusqu’au prochain séjour en sol européen ou en Amérique. Pour le moment, pas d’alcool, de drogue ou de filles, sauf à l’occasion dans la clandestinité.
À Riyad et à Djeddah aussi on peut s’amuser, mais dans la clandestinité
Pas le choix, la clandestinité. Sauf dans les stations balnéaires privées, qui bordent la côte près du port de Djeddah, dans la mer Rouge. Là-bas, des femmes délaissent leurs niqabs pour le bikini, des hommes fument librement le haschisch, dont la consommation peut entraîner une condamnation à mort, tandis qu’à la tombée de la nuit, la plage s’anime sous le feu de la danse et les effluves d’alcool. En principe, les stations balnéaires sont destinées à permettre aux étrangers de se détendre dans un environnement familier. Mais tout Saoudien qui entretient de bonnes relations peut passer à travers les mailles du filet en payant sa cotisation à un club sélect qu’il doit garder secret. Les autorités, elles, préfèrent fermer les yeux sur ces pratiques qui transgressent les codes du wahhabisme.
Ces soirées peuvent durer des heures. Et même des jours. Il n’y a pas de limite, ou presque, pour autant que les organisateurs sachent comment éloigner des plages les agents de la police religieuse. L’alcool provient généralement des ambassades étrangères ou des bases de l’armée américaine, toutes exemptes de lois répressives. Des ressortissants philippins et quelques Occidentaux téméraires passent à l’occasion de l’alcool de contrebande. Et ici comme ailleurs dans le monde, les gais et lesbiennes peuvent trouver leur compte.
Et pourquoi pas des soirées « d’échanges de partenaire »? Ici, on est rompu à la clandestinité totale. Ce type d’événements à forte odeur de sexe se produit effectivement en Arabie saoudite. Comment fonctionne la formule? Simple : un groupe d’hommes et de femmes se rencontre et le nom de chacun des participants est déposé dans un panier. Une personne responsable pige le nom d’une femme et celui d’un homme, et voilà, notre couple sexuel est formé. Quand même, les lois à cet égard sont très strictes dans le royaume : l’adultère est punissable d’une peine de mort. Autre chose à ne pas oublier : changer chaque fois d’endroit afin de ne pas éveiller les soupçons des autorités. Voilà comment on se divertit en Arabie saoudite.
Sources
Daily Star, Listverse, Russia Today, The Globe and Mail, The Telegraph
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