Scientifique de renom, Daszak a joué avec le feu à Wuhan, où il a collaboré à la recherche sur la manipulation des virus.
Mi-février 2020. Une lettre ouverte est publiée dans le journal The Lancet par 26 scientifiques qui condamnent « la théorie du complot » selon laquelle le COVID-19 ne serait pas d’origine naturelle. L’impact est majeur. À partir de ce moment, ceux qui osent évoquer l’idée que le virus puisse avoir été l’objet d’une fuite de laboratoire préféreront garder le silence de peur d’être ostracisés. En amont, les médias s’assureront que le message est bien compris.
Ce que le monde ignore, par contre, c’est que derrière les 26 cosignataires se cache le véritable auteur de la lettre. Son nom : Peter Daszak, zoologue et président d’EcoHealth Alliance, « une ONG dont la mission est de protéger les personnes, les animaux et l’environnement contre les maladies infectieuses émergentes ». On saura plus tard que la démarche de Daszak ne visait qu’un seul objectif : couvrir d’un voile opaque la réalité inquiétante des expériences de laboratoire.
Collaboration avec la défense américaine et le labo de Wuhan
Avant la pandémie, peu connaissaient ce que l’on appelle, dans le jargon du milieu, le « gain de fonction », cette opération qui a pour but de modifier génétiquement un organisme pour le rendre plus pathogène ou plus transmissible chez l’humain. En gros, on fabrique des virus afin d’étudier leur niveau de contagion, ce qui permet de déterminer leur nature afin de développer des antiviraux ou des vaccins.
C’est précisément là l’expertise que Peter Daszak a développée au fil du temps. Une expertise qui lui a ouvert la porte à une collaboration avec le Pentagone, mais aussi avec l’Institut de virologie de Wuhan (IVW), en Chine, au coeur même de la thèse sur la fuite de laboratoire. On comprend maintenant la raison d’être de la fameuse lettre de février 2020.
Pendant sept ans, soit de 2013 à 2020, le gouvernement américain a fait pleuvoir les millions sur EcoHealth Alliance, l’ONG de Daszak : près de 120 millions de dollars, sous forme de contrats et de subventions. Le Pentagone à lui seul compte pour près de 40 millions de ce financement. L’intérêt de la défense américaine pour ce type de recherches n’est pas anecdotique : des États hostiles – on pense tout de suite à la Chine – ne demandent qu’à utiliser des virus pour fabriquer des armes bactériologiques.
C’est aussi pourquoi le « gain de fonction » est mal vu chez certains en raison des risques qu’il comporte : des risques viraux certes, mais également militaires. Cette méfiance n’est pas étrangère à la décision du gouvernement américain d’imposer en 2014 un moratoire sur le financement des recherches sur « les agents pathogènes à potentiel pandémique ». Un moratoire qui, au grand bonheur des Peter Daszak de ce monde, a toutefois été levé dès décembre 2017.
Daszak aime nager en eaux troubles. Dix-huit mois avant l’apparition des premiers cas de COVID-19 à Wuhan, EcoHealth Alliance soumettait une demande de subvention de 14,2 millions de dollars auprès de la Defense Advanced Research Projects Agency (Agence pour les projets de recherche avancée de défense, ou DARPA). Qu’est-ce, concrètement, que la DARPA? Une agence liée au département américain de la Défense responsable de la recherche et du développement des nouvelles technologies à usage militaire.
L’un des membres de l’équipe de chercheurs pressentis pour travailler avec Daszak et la DARPA est Shi Zhengli, de l’Institut de virologie de Wuhan. Daszak connaît bien Shi Zhengli puisqu’il a coécrit près d’une douzaine d’articles avec cette scientifique chinoise. Fort heureusement, la DARPA n’a pas répondu à l’appel, et pour cause : « Il est clair que le projet proposé par Peter Daszak aurait pu mettre les communautés locales en danger », a-t-on déclaré de ce côté.
Le projet comprenait un programme destiné à l’étude d’agents pathogènes potentiellement dangereux dont le but était de générer et de manipuler des coronavirus de chauve-souris afin de les rendre plus aptes à infecter les cellules humaines. On voit le genre.
Alina Chan, la jeune biologiste qui provoque la colère de Daszak
À cause de cette fameuse lettre de février 2020, la communauté scientifique, avec Peter Daszak à sa tête, a réussi à intimider suffisamment de monde – les médias surtout – pour que sa trame narrative sur les origines du COVID-19 soit adoptée sans débat aucun. Mais tous n’ont pas accepté cette soumission aux ténors de la recherche virale. Ce fut le cas d’Alina Chan, biologiste moléculaire spécialisée en thérapie génique et en génie cellulaire au Broad Institute du MIT et de Harvard.
Chan a profité du confinement de mars 2020 pour mener sa propre étude sur les origines du COVID-19. Avec Shing Zhan, expert en bio-informatique à l’Université de la Colombie-Britannique, Chan a examiné les premiers cas de COVID et constaté que le virus n’avait pas muté aussi rapidement que le SRAS. En d’autres termes, elle a découvert qu’il était « préadapté à la transmission humaine ». Serait-ce donc qu’il avait été créé en laboratoire?
Le seul fait de poser cette question a valu à Chan des remontrances de la part de la haute société scientifique. La charge a surtout été menée par Daszak. « C’est une recherche bâclée », a-t-il dit en parlant des travaux de la jeune biologiste. « [U]ne étude phylogénétique mal conçue avec trop d’inférences et pas assez de données, surfant sur une vague de conspiration pour avoir un impact plus important ».
Et pourtant.
Fuites de laboratoires : un phénomène inquiétant
Ce que Daszak a omis de mentionner, c’est que les fuites de laboratoires se produisent plus souvent qu’on le pense. Et pas besoin de retourner 10 ans en arrière. En 2019, le laboratoire de l’armée américaine de Fort Detrick, dans le Maryland, a été temporairement fermé pour « élimination inappropriée d’agents pathogènes dangereux ». Les responsables ont refusé de fournir des détails sur les agents pathogènes en question, invoquant des problèmes de « sécurité nationale ». Sur une période de 20 mois en 2013 et 2014, 37 « incidents » ont eu lieu à l’intérieur du labo de Fort Detrick, autrefois employé pour la recherche sur les armes biologiques.
Le USA Today rapportait il y a quelques années que de 2006 à 2013, les laboratoires américains ont signalé aux autorités environ 1 500 incidents en lien avec des agents pathogènes. Dans plus de 800 cas, ces incidents ont nécessité des évaluations médicales ou même des soins médicaux pour les travailleurs qui y étaient impliqués. Quinze de ceux-là ont été infectés par des agents pathogènes.
En 2007, l’éclosion de fièvre aphteuse au Royaume-Uni avait été causée par une fuite de labo. Idem pour la variole, toujours au Royaume-Uni, et trois fois plutôt qu’une : en 1966, 1972 et 1978. Une brèche dans la sécurité d’un laboratoire du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies aurait causé quatre cas de SRAS à Pékin en 2004, causant la mort d’une personne. Un accident similaire a entraîné une éclosion de brucellose chez 65 employés de l’Institut de recherche vétérinaire de Lanzhou, toujours en Chine, en décembre 2019.
La fin d’un règne
Quand l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a introduit Daszak dans son équipe chargée d’enquêter sur les origines du COVID-19, ils ont été plusieurs à dénoncer le conflit d’intérêts. Ce qu’il fallait savoir, c’est que le président d’EcoHealth Alliance était le seul Américain à bord, car les autorités chinoises avaient refusé d’accorder un visa aux trois autres noms proposés au départ par les États-Unis.
Lors de leur séjour à Wuhan, les experts ont effectué une brève visite de trois heures à l’Institut de virologie de Wuhan, où ils ont rencontré la virologue Shi Zhengli, l’amie et collègue de Daszak. Mais personne n’a eu accès à la base de données de près de 22 000 séquences de virus hébergés à l’institut. « Daszak a été un acteur clé [qui a transformé] l’enquête de l’OMS en une farce », s’est insurgé Richard H. Ebright, un biologiste moléculaire. Une farce qui a atteint sa plénitude lorsque l’OMS a divulgué les résultats de son enquête fin mars, balayant du revers de la main la thèse sur la fuite de laboratoire.
Ces écueils n’ont pas empêché le prestigieux journal The Lancet de commettre la même erreur lorsqu’il a nommé Daszak à la tête de sa commission chargée d’enquêter sur, devinez quoi, les origines du COVID-19. Se rendant sûrement compte de sa bêtise, la direction du journal a démis le scientifique de ses fonctions quelques mois plus tard.
Le 30 septembre 2021, dix chercheurs signaient une lettre demandant au conseil d’administration d’EcoHealth Alliance de révoquer Daszak de son poste de président, l’accusant d’avoir dissimulé des conflits d’intérêts, d’avoir retenu des informations critiques et d’avoir induit l’opinion publique en erreur durant la pandémie. Aucune surprise, la demande est restée sans réponse.
Sources
Boston Magazine, Bulletin of the Atomic Scientists, GM Watch, Independent Science News for Food and Agriculture, Les Actualités, L’Express, Newsweek, The Atlantic, The Intercept #1 et #2, The National Post, The New York Times, The Telegraph, USA Today #1 et #2