Six institutions financières du Canada ont accepté des millions de Chen Runkai sans se poser de questions.
En déroulant le fil de cette histoire, on comprend mieux pourquoi le Canada est considéré comme un paradis pour les fraudeurs. Et cet état de fait découle principalement du manque de vigilance de ses institutions. Premiers coupables : les employés des douanes qui ont accepté sans broncher la requête en immigration de Chen Runkai, un homme d’origine chinoise. C’était en 2006, l’année où Runkai et sa famille ont mis les pieds au Canada par l’entremise du défunt Programme immigrant investisseur.
L’homme avait d’abord prétendu que ses revenus annuels s’établissaient à environ 41 000 $ en Chine pour ensuite déclarer aux autorités que lui et sa femme avaient réussi à amasser 1,26 million de dollars à des fins d’investissement. Une contradiction qui, semble-t-il, n’a pas fait sourciller les employés fédéraux chargés d’étudier son dossier.
Après son arrivée en sol canadien, la famille Runkai s’est offert une piaule de 2,3 millions à Vancouver. Dix ans plus tard, elle se payait cette fois un manoir de 15,6 millions, toujours à Vancouver. Quatre ans auparavant, soit en 2012, la fille des Runkai, âgée de 25 ans, avait allongé 14 millions pour l’achat d’une propriété comprenant un terrain de tennis.
Mais d’où provenaient ces fonds? Ils étaient le produit d’une obscure vente de terrain réalisée à coups de pots-de-vin en Chine, ce pour quoi les autorités chinoises ont lancé un mandat d’arrêt à l’endroit de Chen Runkai.
Des banques passives
C’est à partir de 2010 que les fonds ont commencé à s’accumuler dans les comptes bancaires de la famille. D’abord, 15,1 millions de dollars ont été transférés par quatre entreprises de Hong Kong et de la Chine continentale. Des millions d’autres billets verts ont suivi, tous transférés par l’intermédiaire d’un réseau bancaire souterrain, de sociétés ayant pignon sur rue dans des paradis fiscaux et de bureaux de change de Hong Kong, dont certains liés au crime organisé. À la fin de 2014, la famille Chen avait transféré de cette façon plus de 114 millions de dollars au Canada.
Des transferts ont également eu lieu dans le compte de la mère de Runkai, impliquant des sommes en petites coupures, une technique fréquemment employée pour masquer la source des fonds. Parmi les institutions financières par lesquelles sont passées ces transactions, une seule a levé le drapeau rouge : la branche canadienne de l’Union des banques suisses (UBS). Les autres institutions, soit la Banque de Montréal (BMO), la HSBC, la Toronto Dominion (TD), la CIBC, la Banque Royale et la Banque Scotia, n’y ont vu que du feu.
La BMO a reçu 83,7 millions de dollars canadiens entre 2009 et 2016 de la part de la famille Runkai. Rien qu’en 2013, 52,2 millions ont été déposés sur un compte familial à partir de 101 transactions. L’année suivante, 28,4 millions supplémentaires ont été transférés sur d’autres comptes à la BMO via 59 transferts. La Banque HSBC a quant à elle reçu 41,5 millions de dollars par le biais de 85 transferts en 2013 et 2014, le tout par l’intermédiaire d’une société de change de Hong Kong, d’après le compte rendu de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP).
La Toronto Dominion a reçu 16,4 millions sur les comptes de la famille Chen via 43 transferts entre 2011 et 2014, tandis que la CIBC a déclaré 14,7 millions par le biais de 13 transferts entre 2009 et 2011. Enfin, la Banque Royale a autorisé 24 transferts d’une valeur de 11 millions en 2013, et la Scotia a accepté 1,35 million en 2013 et 2014.
Ces institutions, malgré le caractère frauduleux des transactions effectuées par la famille Runkai, n’ont jamais averti les régulateurs canadiens, contrairement à la UBS. Chen Runkai est aujourd’hui accusé de « criminalité organisée » et de « fausse déclaration » auprès des autorités canadiennes de l’immigration. Il s’oppose depuis quelque temps à son extradition auprès des tribunaux. L’Agence des services frontaliers l’a déclaré inadmissible à la citoyenneté, mais ses avocats ont convaincu un juge fédéral de réexaminer cette décision.
Le Canada, un paradis du crime organisé
Un rapport de 2020 du Service canadien de renseignements criminels (SCRC) a révélé que jusqu’à 113 milliards de dollars étaient blanchis dans le pays chaque année. Au total, 176 groupes organisés étaient pleinement intégrés à l’économie canadienne, selon le rapport, et près de la moitié étaient impliqués dans le commerce de la cocaïne.
Un groupe d’experts du gouvernement de la Colombie-Britannique a estimé en 2019 que plus de 7 milliards de dollars d’argent sale avaient été blanchis dans la province au cours de la seule année 2018. Pas moins de 5,3 milliards de dollars l’avaient été par le biais de l’immobilier, entraînant une augmentation des prix des logements d’environ 5 %.
Un autre rapport du Service canadien de renseignements criminels publié cette fois en 2021 a rapporté que 31 groupes criminels organisés avaient infiltré des organismes et des ministères du secteur public canadien. Six de ces groupes criminels exerceraient une influence considérable sur les institutions fédérales.
Sources
OCCRP #1, #2, The Epoch Times