Sélectionner une page

En 1978, Bell Island a été l’objet d’une explosion qui a alimenté trois décennies de spéculations et de théories du complot.

Située au large de la péninsule d’Avalon et à une trentaine de kilomètres de St. John’s, la capitale de la province canadienne de Terre-Neuve, Bell Island est une île aux falaises vertigineuses et composée d’anciennes mines de minerai de fer qui ont fait sa renommée durant la première moitié du 20e siècle. Or, le 2 avril 1978, l’île a été frappée par une forte explosion entendue jusqu’à 65 km à la ronde. Une explosion qui, malgré sa puissance, n’a causé des dommages que sur une seule propriété, celle de Jim et Suzy Bickford : toiture endommagée, télé et boîte à fusibles mises hors circuit, toiture du poulailler complètement détruite et cinq poulets morts; voilà le bilan des dommages subis par les Bickford.

Des phénomènes étranges

Les expériences vécues par cette famille et ses voisins ont été assez impressionnantes. Jim Bickford s’apprêtait à allumer son poste de télévision quand un grand éclair, accompagné d’un grondement de tonnerre, a déchiré sa maison avec un impact plus fort que le bruit d’une déflagration déclenchée par 300 bâtons de dynamite; ce sont ses propres mots. Une des cousines et voisines des Bickford, Minnie Bickford, a ressenti, comme d’autres, un violent tremblement de terre. Elle a carrément eu peur pour sa vie et cru qu’elle assistait à la fin du monde.

Une autre voisine a vu de la fumée à l’extérieur par la fenêtre de sa cuisine. Son frère, qui jouait sur le parquet, a vu un puissant jet lumineux éclairer la porte vitrée de la cuisinière. Plus étrange, le petit-fils des Bickford, qui s’amusait à l’extérieur, a dit avoir vu une boule lumineuse. Une femme, de l’autre côté sur le continent terre-neuvien, a vu quant à elle un énorme éclair au-dessus de l’île. Le 2 avril 1978, notons-le bien, était une journée ensoleillée sur Bell Island.

Également au menu : des lumières mystérieuses aperçues au-dessus de Conception Bay, où se trouve l’île, samedi soir et tôt dimanche matin avant que l’explosion ne se produise. Carl Sterrett, à l’époque modérateur d’une émission de ligne ouverte à la station de radio VOCM, avait reçu des appels d’une vingtaine de personnes qui avaient affirmé avoir observé des « lumières colorées » se déplacer au-dessus de Conception Bay. Un interlocuteur de Harbour Grace, de l’autre côté de Conception Bay, avait déclaré que de 21 h à 23 h, la veille de l’explosion, des lumières orange, vertes et blanches s’étaient déplacées dans le ciel de façon irrégulière. Un résident de Witless Bay, à l’est de l’île, a rapporté avoir carrément vu un ovni dans les premières heures le dimanche matin. 

Présence de deux scientifiques de Los Alamos

Deux scientifiques, John Warren et Robert Freyman, du Laboratoire national de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, sont arrivés sur Bell Island quelques heures seulement après l’événement. Warren était également enquêteur pour le Mutual UFO Network (MUFON), un réseau d’enquête et de recherche international du phénomène ovni. Cette seule présence a nourri les spéculations et les théories du complot. Pourquoi les deux hommes étaient-ils arrivés si tôt sur l’île? Simple : parce que les instruments de mesure avaient détecté l’explosion. Et pas seulement à Los Alamos. À Ottawa, des « scanners » de l’armée canadienne avaient aussi enregistré la déflagration. Le bureau du premier ministre en avait même été alerté.

La présence des deux scientifiques est facilement explicable, mais il faut d’abord connaître le contexte qui prévalait au moment de l’événement.

À cette époque, la côte est, du Canada jusqu’à la Caroline du Sud, était frappée par ce que l’on appelait les « mystery booms » (« explosions mystérieuses »). Il y en aurait eu 600 de ces « mystery booms », et les deux scientifiques voulaient vérifier si les événements de Bell Island avaient un lien avec ces explosions. Or, l’on sut plus tard qu’au moins 400 de ces « mystery booms » avaient une origine bien connue : le Concorde. Cet avion de ligne supersonique avait amorcé ses premiers vols entre New York et l’Europe le 2 décembre 1977, soit quelques jours avant que la première explosion n’ait été signalée par des témoins sur la côte est américaine. Le bruit des explosions venait des appareils lorsqu’ils franchissaient le mur du son; c’est ce que l’on appelle communément le « bang supersonique ».

Mais les scientifiques de Los Alamos avaient une autre bonne raison de se rendre sur Bell Island. Depuis au moins un an, les deux hommes étudiaient les « superbolts », ou « super éclairs », à l’aide des satellites Vela. Ils avaient donc été envoyés par le laboratoire pour enquêter sur le phénomène. Les « superbolts » sont des éclairs beaucoup plus puissants que les éclairs habituels. Seulement cinq éclairs sur dix millions, dit-on, seraient des « superbolts ».

C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle sont venus les enquêteurs sur place, dont Roger Tinkham, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). L’explosion de Bell Island aurait donc été causée par une « superbolt ». La destruction des appareils électriques était due au très haut voltage provenant de l’éclair, lequel, comme on l’a vu, a également causé les dommages aux toitures et détruit le poulailler des Bickford.

Mais la plupart des habitants de Bell Island n’ont jamais cru à la thèse de la foudre. Qu’était-ce alors?

Une expérience militaire?

Un documentaire diffusé sur History Channel, The Invisible Machine, a soutenu la thèse d’une arme à énergie dirigée, soit à impulsions électromagnétiques, soit à faisceaux de particules, pour résoudre l’énigme de Bell Island.

Selon le documentaire, l’explosion aurait pu être le résultat d’expériences top secrètes, possiblement de l’armée soviétique. Ce qui expliquerait la présence sur l’île d’un officier russe, flanqué d’un militaire américain et d’un responsable canadien, quelque temps après l’événement. Selon James Farrell, un pompier enquêteur envoyé sur les lieux, les trois hommes étaient très réservés. Farrell leur avait donné des pièces qu’il avait ramassées sur la propriété des Bickford, pièces qu’ils ont remisées dans une boîte en métal. À un moment donné durant le documentaire, le narrateur pose une excellente question : pourquoi des ennemis de la Guerre froide se seraient-ils rendus sur une île canadienne pour enquêter sur un éclair?

Selon certains, soit les Soviétiques soit les Américains auraient envoyé des faisceaux de haute énergie concentrés dans l’ionosphère, lesquels auraient été attirés par le fer dans les mines abandonnées de Bell Island. Mais cette thèse ne tient toutefois pas la route : le type de minerai de fer que l’on retrouve sur Bell Island est principalement composé d’hématite, pas mal moins magnétique que la magnétite.

Un documentaire peu crédible

Ce qui pose surtout problème avec le documentaire The Invisible Machine, ce sont les spécialistes embauchés pour nous donner un compte rendu des recherches en matière d’armes à énergie dirigée. Un de ceux-là nous intéresse davantage : Nick Begich, « docteur ès sciences » autoproclamé.

Même le plus fin des observateurs ignore, en visionnant le documentaire, que Begich est avant tout un adepte des médecines non conventionnelles, ce pour quoi il a obtenu un diplôme, celui d’un institut appelé The Open International University for Complementary Medicines, du Sri Lanka. Depuis ce temps, l’homme s’est affublé du titre de « docteur », car il s’est vu décerner en 1994 un doctorat honoris causa de « médecine alternative » par cet obscur établissement. Établissement qui n’a d’ailleurs jamais été reconnu par le gouvernement sri lankais. En d’autres termes, il s’agit de ce que les Américains appellent une « diploma mill », ou, si vous voulez, une usine à diplômes. Pour quelques milliers de dollars, vous devenez docteur du jour au lendemain.

Begich est souvent invité à l’émission de radio d’Alex Jones, le plus éminent des amateurs de complots américains. Il y intervient régulièrement comme « expert », entre autres pour parler du projet HAARP. HAARP, pour High Frequency Active Auroral Research Program, est un programme de recherche sur l’ionosphère. Or, pour Begich, HAARP peut contrôler l’esprit humain, provoquer des tremblements de terre et des tsunamis ou d’autres catastrophes inimaginables. Vous l’aurez deviné, notre homme est certain que le programme HAARP est à l’origine de l’explosion de Bell Island.

Begich est tellement au fait de HAARP qu’il en a écrit un livre, Angels Don’t Play This Haarp: Advances in Tesla Technology. Aucun éditeur n’a voulu de l’édition francophone de ce livre. Ou plutôt, devrions-nous dire, aucun éditeur sérieux, car Louise Courteau l’a fait traduire pour le publier. Pour connaître toute la crédibilité de cette éditrice, il suffit de vérifier son catalogue. La liste est très édifiante; on peut nommer quelques livres qui en sont issus : Énergie libre et technologies, de Jeane Manning, qui a collaboré au livre de Begich; Chemtrails, du conspirationniste québécois Nenki, le même qui croit que le gouvernement américain a organisé les attentats du 11-Septembre; Le plus grand secret et Les enfants de la matrice, de David Icke, qui a rendu célèbres les extraterrestres d’origine reptilienne, au cœur, selon lui, d’un vaste complot mondial avec les familles les plus riches du globe.

Que dire de plus? Que l’explosion de Bell Island n’a pas été causée par une expérience militaire. Aucun pays n’était en mesure de procéder à une telle expérience en 1978, pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs. Les pseudo-experts ont mis deux possibilités sur la table : l’arme à impulsions électromagnétiques ou l’arme à faisceaux de particules. Or, ni les États-Unis ni l’Union soviétique n’avaient mis au point de telles armes à l’époque. Ce n’est qu’à l’été 2018 que les États-Unis ont dit vouloir tester leurs premières armes laser montées sur des chasseurs F-15. 


Sources

Conspiracy Watch, Metabunk, Skeptoid, Wikipedia, World of the Strange, YouTube #1 et #2


Vous aimerez aussi :

Dossiers canadiens : Le trésor imaginaire d’Oak Island

L’explosion de Tunguska : quand la terre a failli basculer

Manipulation météorologique : pouvons-nous provoquer de la pluie?

 

Pour faire un don